Le film

Afin de permettre au spectateur de pénétrer
au coeur du processus d’élaboration d’une oeuvre cinématographique
Languedoc-Roussillon Cinéma réalise
un site sur le court métrage d’animation
de Jean-Charles MBOTTI MALOLO

Voir le teaser du film

Synopsis : Chloé et Louis s’aiment secrètement. Ils sont sourds et muets. Leurs gestes se substituent aux mots, chaque parole est une chorégraphie. Louis se décide enfin à inviter Chloé à dîner et accepte de la laisser entrer accompagnée de chatons, malgré son allergie. Le dîner va alors révéler ses côtés les plus sombres.

Réalisé par Jean-Charles MBOTTI MALOLO, 14 min, 2014
Production / FOLIMAGE STUDIO – LA FABRIQUE Production – NADASDY FILM
Distribution / FOLIMAGE.

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L’art du mouvement

Entre les plans

«  Le Sens du toucher s’intéresse au mouvement, non pas dans une approche d’imitation, de reproduction, ou de réalisme mais comme un sujet d’étude, lieu de vibration et d’énergie. Le réalisateur semble chercher à saisir le mouvement, celui qui nous rend vivant, qui anime l’être humain. « 

Particulièrement sensible aux techniques d’animation à travers sa propre pratique, le réalisateur Alexandre Liebert revient avec Jean-Charles Mbotti Malolo sur la question de cette communication non verbale et sur sa manière de la représenter à l’image. Initié par Languedoc-Roussillon Cinéma, Entre les plans interroge les partis pris esthétiques et techniques de la création cinématographique.

Making of

 » Jean-Charles Mbotti Malolo avait réfléchi à une chorégraphie en choisissant des mouvements par rapport à leur sens. Il l’a faite interpréter par des danseurs qu’il a filmés dans le cadre d’une résidence au Pôle Pik de Villeurbanne. Ensemble, ils ont essayé de trouver les mouvements qui traduisaient au mieux les émotions.

Le making of réalisé par le magazine Court-circuit d’Arte montre les pistes de recherche de cet échange. Le réalisateur a ensuite fait des dessins à partir des images des danseurs filmés. Nourrie d’une base réaliste, l’animation propose une représentation sensible des corps.  »

Inspiration

 » Même si par goût, Jean-Charles Mbotti Malolo a beaucoup regardé des comédies musicales, il ne s’en n’est pas directement inspiré pour réaliser Le Sens du toucher. Son inspiration est plutôt à chercher du coté des acteurs burlesques comme Buster Keaton dont il apprécie la gestuelle et la manière de chorégraphier les mouvements et de certains spectacles de danse qui furent pour lui de véritables rencontres, notamment la pièce  Appartement (2005) de Mats Ek à laquelle il fait un clin d’œil direct dans l’une des chorégraphies du film. « 

Documents de travail

 » L’animation est une méthode de création de mouvement « image par image ». Chaque animateur-auteur a sa technique de prédilection, celle avec laquelle il se sent le plus libre. Jean-Charles Mbotti Malolo a choisi l’animation dite « traditionnelle», c’est-à-dire en 2D, entièrement dessinée à la main. Il aime l’odeur des crayons, le contact avec la feuille de dessin, la façon dont le pinceau glisse lorsqu’il peint ses décors. Cette approche «artisanale » est en résonance avec le propos de son film Le Sens du toucher.

Jean-Charles Mbotti Malolo a présenté la première version du scénario en 2011, la version finale date de 2012. Les étapes de réalisation du film ont alors démarré à La Fabrique en 2013. – Le dessin du storyboard : à partir du scénario, le découpage de l’histoire se retrouve en images. – Le layout et les décors ont été dessinés et peints à la main. Le layout précise la mise en scène de chaque plan et indique la taille selon laquelle les dessins doivent être animés, le cadre, les déplacements des personnages, les mouvements de caméra. Le layout définit l’action de la scène dans son décor.
Les autres étapes ont été réalisées à Folimage entre fin 2013 et début 2014. – L’animation : des séries de dessins sont réalisées en faisant évoluer les mouvements des personnages, tout en tenant compte de la position précédente observée par transparence des feuilles, superposées sur une table lumineuse. – Le compositing est l’association des décors et des personnages en une seule image. – Le montage affine l’enchaînement des plans et synchronise sons et images. – Le mixage et l’étalonnage ont été finis au début du mois de février 2014.  »

Le storyboard

Le scénario

Le nuancier gouache

Les recherches pour les personnages

Les techniques d’animation

Lors d’un rencontre avec Jean-Charles MBOTTI MALOLO (réalisateur) et Xavier JULLIOT (Producteur de La Fabrique) à l’Université Paul Valéry Montpellier III le mardi 06 novembre 2012. Organisée par languedoc-Roussillon cinéma en partenariat avec le SCUIO-IP de l’Université Paul-Valéry (Service Commun Universitaire d’Information, d’Orientation et d’Insertion Professionnelle).

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Le réalisateur

Jean-Charles Mbotti Malolo

Danseur, animateur et réalisateur de films d’animation, Jean-Charles Mbotti Malolo, diplômé en 2007 de l’école Emile Cohl à Lyon, a travaillé sur les décors des longs-métrages : L’apprenti Père Noël de Luc Vinciguerra, Kérity la maison des contes de Dominique Monféry, Tante Hilda ! de Jacques-Rémy Girerd et Benoît Chieux. A l’heure actuelle, il a réalisé 5 courts-métrages. Trois dont il a écrit le scénario : Le Cœur est un métronome (2007), Le Paon (2014), Le Sens du toucher (2014), et deux autres pour des commandes : Le Boubou pour l’émission Karambolage d’Arte (2009), 1 des films du programme « 36000 ans plus tard », collection de 15 films courts pour les studios Folimage (2015). Il travaille actuellement à deux projets : Please, Please, Please, un film sur James Brown en co-réalisation avec Simon Roussin et Josep, un long métrage sur un peintre catalan, en co-réalisation avec Aurel. Pour ses films, Jean-Charles Mbotti Malolo s’est nourri de la double culture du hip-hop et du dessin, deux sources d’inspiration indissociables de son cinéma. Cela vient de son expérience de danseur-interprète de la compagnie Stylistik de Lyon mais également des univers de chorégraphes qui l’ont particulièrement touché : Mats Ek, James Thierrée et Sidi Larbi Cherkaoui.

Le court métrage d’animation Le Sens du toucher de Jean-Charles Mbotti Malolo
est actuellement présenté en avant programme du film
La Nuit du chasseur de Charles Laughton
dans le dispositif Lycéens et Apprentis au cinéma en Région Occitanie.

Analyse comparative

Le Sens du toucher et La Nuit du chasseur

Une certaine forme de monstruosité

L’aspect que revêt la monstruosité dans chacun des films va nous permettre d’aborder la nature de ce qui se cache
derrière la notion de monstre, sa fonction dans le récit et la manière dont il est traité cinématographiquement.


Nature du monstre

Il y a plusieurs notions qui se dégagent de l’étymologie du mot monstre : Monere (avertir, faire signe), monestrum, monstrare (montrer, attirer l’attention sur). Notons que le sens premier en français est celui du « prodige ».
Le monstre est un signe, il y a donc, quelque soit sa nature, un rapport à la représentation comme marque nécessaire à la reconnaissance du monstrueux.
Cette reconnaissance peut se faire :

– Soit visuellement (excès de formes, déformation), comme dans le film Le Sens du toucher où Louis, sous l’effet de sa poussée d’allergie aux chats, prend l’aspect d’un monstre géant (Cyclope) révélant son animalité contenue (peur du lâcher prise que Louis manifeste depuis qu’il nous a été donné à voir),

– Soit par l’affect. Le vrai monstre n’a dans ce cas là pas les caractéristiques extérieures d’un monstre (une chimère de caractère, cruauté, malveillance, perversion) comme Harry Powell, le prêcheur dans La nuit du chasseur. Powell a l’apparence d’un homme ordinaire. Mais en le regardant agir, on peut aisément penser à un ogre comme celui du Petit Poucet avec « son grand couteau » qui représente l’image de la paternité pédophage, castratrice et dévoratrice à la façon de Chronos et d’Ouranos.
Dans La Nuit du chasseur, la monstruosité du prêcheur est dévoilée aux spectateurs dès le début : il parle à « Dieu » seul dans sa voiture où il énumère le nombre de ses crimes et en fait la justification perverse par un assentiment divin du devoir accompli, ou encore dans le cabaret avant sa première arrestation, en disant : « il y a trop de ces femmes dans le monde, tu ne saurais les exterminer toutes. »
La pire violence semble être celle qui se cache en tant que telle, surtout si elle revêt l’apparence de la rationalité.

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Monstre et héros

Dès les premières figures antiques, le monstre n’est jamais seul. Il est le plus souvent opposé à un héros.
Le géant, et le monstre dévorant nous ramènent à l’autre traité comme objet : nourriture ou jouet. Le héros est alors réduit à néant. Mais c’est ce monstre qui va permettre de révéler les qualités du héros et d’expurger en même temps sa sauvagerie, sa violence interne, en la positivant.

Dans Le Sens du toucher, le monstre et le héros résident dans le même corps. Le monstre « a dévoré » Louis. Le héros est placé dans une position de dépendance, de fragilité, il subit et c’est le monstre qui agit (l’apparition du « monstre » modifie le cours du récit et rend la poursuite du dîner en amoureux impossible). C’est plus tard, lorsque Louis arrive à dominer un tant soit peu sa monstruosité, (il se relève après avoir tout cassé chez lui) que le fil invisible qui le relie à Chloé opère et que le héros peut reprendre le dessus. Il trouve le chemin qui mène à la voiture accidentée, arrive à sauver Chloé et la rencontre amoureuse peut se vivre sans entrave.
Dans La Nuit du chasseur, John est le héros. La première fois qu’il aperçoit Powell, il voit l’homme et non le monstre dans l’homme. Il est en train de raconter une histoire à sa petite sœur Pearl, lorsque la tête de Powell apparaît sous la forme d’une ombre gigantesque sur le mur de la chambre. Pearl, effrayée, interpelle son frère. Après avoir regardé à la fenêtre, il la rassure sur la nature de cette apparition monstrueuse : « c’est un monsieur ».
Mais la seconde fois, dans la boutique « des Spoons » où travaille sa mère, il perçoit cette instabilité monstrueuse sous le masque de la normalité. Il arrive à le démasquer (il fait tomber le masque). Plus tard, il arrivera à échapper à ses griffes en le dupant (Scène de la cave), tout comme le Petit Poucet arrive à duper l’ogre.

 

Monstre et éléments narratifs

Dans les 2 films on retrouve des éléments narratifs communs

Les scènes de repas
Dans Le Sens du toucher, Louis a invité Chloé à dîner. c’est autour d’un repas sensuellement préparé ensemble que la révélation du monstre se fait. Louis perd le contrôle de lui-même lorsque Chloé, attablée, prend dans ses mains l’un des chatons. Il est hors de lui.
Dans La Nuit du chasseur, les moments de repas sont des occasions pour Powell de dissimuler sa nature monstrueuse même si elle finit elle aussi par « déborder »: il profite de la préparation du chocolat fondu par Madame Spoons pour le pique-nique pour se rapprocher de Maria (la mère de John). Powell dit d’une voix calme et posée : « Ce chocolat sent bon. ».
Plus tard, Pearl et John face à une table pleine de victuailles sont invités à manger s’ils révèlent à Powell la cachette où se trouve l’argent. Powell énumère les mets avec une voix suave et douce mais perd lui aussi son « self contrôle » lorsque Pearl lui dit qu’elle ne peut lui révéler la cachette.

Le miroir
Le miroir est présent dans les 2 films et révèle le motif de l’inversion des images. L’instant monstrueux est à la fois une révélation et une catastrophe.
Dans Le Sens du toucher, c’est devant le miroir de la salle de bain que la transformation monstrueuse de Louis s’opère.
Dans La Nuit du chasseur, le soir de la nuit de noce, alors qu’elle sort de la salle de bain et s’apprête à aller se coucher pleine de désir pour son mari, Maria se voit intimer par celui-ci de se mettre devant le miroir. La perversité de Powell lui permet de renverser la situation. Avec cette injonction d’aller se regarder, il veut faire « voir » à Maria quel monstre elle est avec son désir « débordant ».

Le labyrinthe
Le monstre dévorant semble enfin être associé à une figure architecturale récurrente : celle depuis le Minotaure, du Labyrinthe.
Le labyrinthe peut être abordé dans les 2 films au sens propre comme au sens figuré : un lieu où on s’égare et une situation dont il est difficile de se sortir. Dans les 2 approches il y a une notion de perte de repère.

Dans le film Le Sens du toucher, Louis est bloqué dans le labyrinthe de ses émotions notamment à cause de sa difficulté à lâcher prise, son besoin de contrôle. Lorsqu’il perçoit la vibration émise par Chloé qui a besoin d’aide, il la suit. Ce fil d’Ariane lui permettra à la fois de se retrouver, reprenant petit à petit une forme humaine et de retrouver Chloé. Ce retour se fait dans une allée d’arbres et de réverbères allumés. D’abord source de confusion (ils se ressemblent tous), le clignotement de l’un d’eux servira à Louis de repère et de guide pour le sortir de son étourdissement.
Dans La Nuit du chasseur, John est témoin de nombreuses situations où l’entourage n’assure plus son rôle protecteur pour sa sœur et pour lui. Il doit alors lui, l’enfant, se montrer plus responsable que les adultes défaillants qui l’entourent. Cela le met dans des situations de conflits intérieurs dont il aura du mal à se sortir (l’arrestation de son père, la raillerie des enfants après la pendaison de celui-ci, l’assassinat de sa mère, les pressions psychologiques et physique exercées par Powel…).
John en fuyant le monstre Powell, se retrouve à errer sur la rivière sans savoir où il va. Il sortira de se « dédale » grâce à sa rencontre avec la vieille dame Rachel. C’est elle qui lui permettra de retrouver ses repères d’enfant et de se débarrasser du monstre.

Dans ces 2 films les monstres se cachent dans une enveloppe d’homme « ordinaire ». Pour les héros confrontés à la présence de ces monstres dévorants la rencontre permettra d’assumer pleinement leur nature première :
Un homme peu enclin au lâcher prise mais qui ne demande qu’à se laisser aller et à partager avec l’être aimé dans Le Sens du toucher.
Un enfant qui se conduit en adulte responsable mais qui ne demande qu’à avoir l’insouciance propre à son jeune âge dans La Nuit du chasseur.

Chrystelle Guy
Responsable de l’éducation à l’image au sein d’une salle de cinéma, elle effectue de nombreuses interventions sur la pratique du cinéma d’animation et l’histoire du cinéma auprès du jeune public.
Elle a réalisé le petit carnet autour du film.

Télécharger le petit carnet

 

Sources : Les monstres au cinéma, Eric Dufour, Le monstre et le visuel. Monstruosité au cinéma, Alain Julien Rudefoucauld

 

Ce projet a été réalisé grâce au soutien
de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Occitanie,
de la Région Occitanie,
et les coordinateurs régionaux du dispositif Lycéens et Apprentis au Cinéma,
l’ACREAMP et le Festival Cinéma d’Alès – Itinérances.

Merci à Jean-Charles Mbotti Malolo et à Folimage pour leur confiance